Un film avec toi
Un film avec toi
Jean-Daniel Lafond
2016 | 52 min
Le 27 septembre 2005, Michaëlle Jean devient Gouverneure générale et commandante en chef du Canada. L’événement est historique. Non pas seulement parce qu’elle est la première femme noire à occuper cette fonction, la plus haute au Canada, mais surtout parce qu’elle la hissera au-delà de son rôle protocolaire.
Rapidement, en effet, cette femme engagée et combattante, citoyenne du monde, affichera ses convictions : faire de l’art un outil de changement social, donner voix aux communautés exclues et marginales, défendre le droit des femmes et des Autochtones, redonner de l’espoir autant dans le Grand Nord qu’en Afrique ou dans la quarantaine de pays qu’elle visitera durant son mandat.
Pourtant, c’est aussi personnellement que cette nouvelle fonction la bouleversera. En 2010, alors qu’elle s’apprête à quitter Rideau Hall, Haïti, son pays natal, lieu de ses racines profondes, est ravagé par un terrible tremblement de terre… Filmé de l’intérieur par son époux, le cinéaste Jean-Daniel Lafond, qui a cumulé plus de 600 heures d’images, de sons et de notes durant son quinquennat, Un film avec toi retrace les différentes étapes de ce parcours étonnant par lequel Michaëlle Jean aura imprimé sa marque unique dans l’histoire de la diplomatie canadienne. En perçant le secret de sa quête et en s’approchant au plus près de sa vérité, il dresse surtout un portrait exceptionnel, intime et sensible, de la femme d’État sincère, libre et volontaire qu’elle a su devenir.
En ligne
Le film est disponible en ligne, à partir du site onf.ca/unfilmavectoi.
Entrevue avec Jean-Daniel Lafond
Pourriez-vous nous raconter la genèse de ce film?
Je ne savais pas au départ que j’allais faire ce film. Mon épouse a été désignée Gouverneure générale sans être candidate, et cela était aussi inattendu pour elle que pour moi. Lorsque la nouvelle m’est arrivée, j’étais en tournage pour Le Fugitif ou les vérités d’Hassan, à Washington, et en chantier du film suivant, Folle de Dieu. On a passé huit jours à réfléchir, réfugiés dans notre chalet, en ayant conscience, dès le début, de la charge symbolique que ce choix portait : c’est une femme engagée, elle est noire, et tous les deux, nous sommes nés hors du Canada. Cette image allait être très encourageante pour ceux et celles nés ailleurs, qui pouvaient se dire, par exemple : « Le Canada est le lieu de tous les possibles ». Cette force symbolique nous rendait la proposition difficile à refuser, mais tout aussi difficile à accepter d’emblée! L’accepter, c’était accepter de changer de vie, de changer notre rapport au monde, tout en restant nous-mêmes, sans trahir nos valeurs et nos engagements. Quand Michaëlle a dit oui – et moi aussi –, c’est parce que nous avions acquis la conviction qu’il serait possible de remplir cette fonction d’un sens. Au-delà des remises de médailles, de la signature des décrets, de l’assermentation des gouvernements, au-delà des cérémonies formelles, de l’accueil des chefs d’État étrangers et des visites d’État partout dans le monde , il y avait un espace pour inventer notre propre démarche. Et quand on a dit oui, notre balise morale était précise : nous serions des citoyens parmi les citoyens. C’est dans cet esprit que Michaëlle a consacré une bonne partie de son mandat à l’écoute des citoyennes et des citoyens, à faire entendre les voix de ceux et celles que l’on écoute peu ou pas : la parole des jeunes, des Autochtones, des exclus en général. De mon côté, j’ai pu organiser en 5 ans plus de 50 forums (intitulés Le Point des arts) d’un bout à l’autre du Canada et à l’étranger, qui ont rassemblé des cinéastes, des écrivains, des artistes, des penseurs, des créateurs pour mieux nous rappeler que les arts, la culture, l’éducation sont nos véritables armes (pacifiques) de construction massive.
Et comment l’idée de récolter des images lors de ce mandat est-elle arrivée ?
Au départ, nous étions suivis par des photographes de l’Armée qui prenaient de « belles » photos bien posées. Cela ne rendait pas justice aux différentes facettes de la fonction, en particulier des interactions avec les Canadiennes et les Canadiens dans leur diversité. Alors, j’ai tenté de filmer moi-même. Mais c’était compliqué d’être dans la mire du public et des journalistes tout en tenant en main une caméra. Nous avons donc demandé que les photographes se transforment en vidéastes, sans pour cela abandonner totalement la photo. L’idée était de garder des traces et de rassembler des archives audiovisuelles. Parallèlement, j’ai créé un site Web lié au site officiel de la Gouverneure générale, intitulé À l’écoute des citoyens (Citizen Voices en anglais). Ce site permettait, grâce aux clips vidéo qui témoignaient de toutes ses actions citoyennes, d’ouvrir un dialogue interactif entre la Gouverneure générale et le public. À ce stade, je n’avais aucunement l’intention de faire un film, je voulais rassembler des archives pour témoigner du mandat et de la fonction. Même si ce matériau visuel et sonore est de qualité très inégale, il constitue aujourd’hui une mémoire précieuse, unique même, apte à combler les lacunes et les silences des médias à l’égard de la fonction de Gouverneur général. On retrouve quelques-unes de ces archives dans mon film et une sélection dans le site Internet de l’ancienne gouverneure générale, qui inclut les archives du site À l’écoute des citoyens.
Qu’est-ce que ce point de vue de l’intérieur vous permettait de capter ?
Mon film est fait d’images plus personnelles que j’ai tournées moi-même après la fin du mandat de mon épouse, entre 2010 et 2015. Je ne voulais pas faire un film sur notre vie privée. Je voulais avant tout reprendre ma place et mon regard de cinéaste, et rendre compte de ce que j’avais vécu et vu en partageant la vie et les actions de la 27e Gouverneure générale du Canada : les tête-à-tête, les moments de solitude, les joies, les douleurs aussi, et surtout, je voulais comprendre cette force qui l’anime, qui la fait se dépasser, cette capacité de rassembler, de résister également. En fait, derrière tout cela, c’est le secret d’une femme engagée que j’ai tenté de cerner. C’est ce qui m’importait. Je n’ai pas cherché à être chronologique, ni exhaustif. Ni rire, ni pleurer, comme dans mes autres films, je cherche à comprendre et, de fait, à faire comprendre.
Vous avez vécu cette aventure aux côtés de votre épouse. Comment trouve-t-on la distance pour aborder un sujet dont on est si proche? Y’avait-il des pièges à éviter?
Il fallait prendre mes distances pour faire ce film ; il m’a fallu cinq ans pour avoir, ce que j’appelle la bonne distance. La partie haïtienne, par exemple, est filmée entre 2011 et 2015, ce qui m’a permis de remettre les choses en perspective et de raconter une histoire, de bâtir un récit.
En quittant Rideau Hall en 2010, l’idée d’un film à faire était présente dans mes intentions, mais je n’en voyais ni la forme, ni le propos. Pendant deux ans, j’ai décanté, je me suis occupé de créer notre legs, la Fondation Michaëlle Jean, consacrée aux jeunes en situation difficile. Puis, peu à peu, je me suis mis à regarder quelques archives. Mais dans les archives, il n’y a pas de film, il n’y a pas de point de vue, il n’y a pas de propos en soi.
En quittant la fonction de Gouverneur général, Michaëlle a été nommée, littéralement le lendemain « Envoyée spéciale de l’UNESCO » pour Haïti. Elle n’a pas été en mesure de remettre en perspective rapidement les cinq ans passés comme femme d’État. Par contre, je l’ai accompagnée plusieurs fois en Haïti, et sans qu’elle s’en rende vraiment compte, j’ai commencé à filmer, seul, en dialoguant avec elle, dans ce pays qui est à la fois sa douleur et sa source de résistance et d’énergie. La vision du film à faire, je l’ai eue là, dans les ruines de Port-au-Prince, dans la douceur de Jacmel, dans la beauté fulgurante de l’Île à Vaches. Et j’ai commencé à tourner presque à son insu tant elle était absorbée par la mission de reconstruction de son pays natal. La confrontation entre Haïti-beauté et Haïti-douleur, entre la vie et la mort, entre Éros et Thanatos, a créé la bonne distance pour que ce film advienne… avec elle.
Je me suis alors souvenu qu’à la fin du mandat, un producteur bien intentionné m’avait proposé de faire un film « marrant et drôle » sur la fonction de gouverneur général. Mais je ne suis pas « Infoman »! Alors j’ai préféré le faire seul, librement, sans contrainte de production jusqu’au premier montage avec Babalou Hamelin, ma complice de longue date. Car ce qui m’intéressait, ce n’était pas le cliché, mais le non-dit. Aller à la caricature est certes plus facile. Il est plus aisé de faire juste une image qu’une image juste. Pourtant, c’est cette quête sans fin de l’image juste qui fait la noblesse et l’intérêt du cinéma documentaire, qui en fait le révélateur de vérités… sinon de la vérité. C’est cela qui me passionne.
Pouvez-vous parler des principales valeurs qu’elle a réussi à imposer au cours de son mandat?
Michaëlle est telle qu’on la voit dans le film. Elle ne prend pas à la légère son engagement et sa détermination. Elle n’est pas une politicienne, c’est une diplomate : elle est vraiment là pour rassembler, non pas pour diviser. C’est ce qui m’a impressionné en regardant tout le matériel d’archives et en me souvenant de ces cinq années : j’ai vu une femme en quête de fraternité, de solidarité, de liberté; une femme qui prône l’idée que l’exclusion n’est pas la solution, qu’il est toujours possible de réhabiliter et de réinsérer ceux et celles que la société exclut. Soit, il y avait un côté symbolique à nommer une femme noire dans cette fonction, mais comme elle n’a jamais été la Noire de service, elle a rapidement débordé le symbole! Quand elle proposait en 2005 de briser les solitudes, elle posait une question qui reste essentielle dans notre société et dans le monde : comment réussir à construire un grand vivre-ensemble harmonieux et pacifique? C’est avec ces mêmes valeurs et la même question qu’elle aborde aujourd’hui en tant que secrétaire générale les 80 pays de la Francophonie.
Votre film met aussi de l’avant son intégrité assez remarquable…
Oui. Je n’ai jamais douté de son intégrité même si j’ai pu l’interroger. Jusqu’où peut-on être intègre dans une situation publique? En observant le monde à travers quelque quarante visites d’État, j’ai croisé des menteurs, des manipulateurs, des politiciens arrogants, mais j’ai aussi rencontré beaucoup d’hommes et de femmes politiques authentiques, réellement dévoués à la chose publique, intègres, en effet. Et, chemin faisant, j’ai vu cette femme dans ce milieu où être une femme n’est pas exempt de difficultés, je l’ai vue se tenir debout et réussir à se faire respecter en étant tout simplement elle-même. Oui, elle peut être émue et retenir difficilement ses larmes au cours d’une conférence de presse après le tremblement de terre en Haïti… ce n’est pas une faiblesse, mais la pleine expression de ce naturel que certains auraient voulu chasser… Son intégrité? Elle repose sur la sincérité de sa relation avec autrui, sur le respect de soi et de l’Autre.
À propos d’Haïti, vous aviez déjà réalisé La manière nègre ou Aimé Césaire chemin faisant et Haïti dans tous nos rêves, où Michaëlle Jean était déjà présente. Mais si, auparavant, vous évoquiez Haïti par ses figures littéraires marquantes, cette fois, le lien paraît beaucoup plus organique.
Pouvez-vous nous parler de votre relation et de celle de Michaëlle Jean à ce pays?
Je dis souvent que j’ai trois amours : le Québec, Haïti et la France. Haïti, c’est un amour difficile, douloureux. J’en ai suivi et même vécu tous les drames depuis 1986 et le départ de Duvalier fils. Mais c’est aussi en passant par ce pays que j’ai rencontré Michaëlle. En 1990, alors qu’elle était journaliste, je lui ai demandé de m’accompagner comme collaboratrice en Haïti pour y préparer un film, et nous ne nous sommes plus jamais quittés. Il y a chez moi une espèce d’amour solaire et sensuel pour ce pays à la fois fragile et insaisissable, qui peut chanceler mais qui refuse de se mettre à genoux et qui résiste. Cette résistance est très incarnée chez les femmes haïtiennes. Dans une scène tournée à Port-au-Prince, à l’occasion d’un grand rassemblement, le 8 mars 2010, Michaëlle prend la parole en créole et s’adresse aux femmes : « Je suis très fière d’être née du ventre d’une mère haïtienne », et elle rend hommage à cette résistance des femmes et à leur capacité de porter le pays sur leur dos et son avenir dans leur ventre. Elle ajoute que si Haïti s’en sort doucement, peu à peu, c’est grâce à elles.
En vivant, puis en revoyant cette scène, j’ai saisi le secret de Michaëlle : elle a été Gouverneure générale de la même façon qu’elle a été femme d’Haïti, avec cette capacité de résister aux vents mauvais et d’avancer sur ce projet fondamental que je partage volontiers avec elle : rendre l’humanité un peu plus humaine.
Générique
Scénario, narration et réalisation
Jean-Daniel Lafond
Montage
Babalou Hamelin
Direction de la photographie
Jean-Daniel Lafond
Images additionnelles
Alberto Feio
Carlos Ferrand
Sgt Ronald Duchesne
Sgt Serge Gouin
Sgt Éric Jolin
MCpl Evan Kuelz
MCpl Jean-François Néron
MCpl Issa Paré
MCpl Dany Veillette
Prise de son
Jean-Denis Daoust
Jean-Daniel Lafond
Catherine Van Der Donckt
Montage sonore
Catherine Van der Donckt
Benoît Dame
Gaëlle Komàr
Consultant à la recherche
Yves Bisaillon
Enregistrement de la narration
Serge Hamel
Mixage
Serge Boivin
Montage en ligne
Serge Verreault
Titres
Cynthia Ouellet
Support technique au montage image
Isabelle Painchaud
avec la participation de
Patrick Trahan
Pierre Dupont
Coordonnateur technique de projets
Daniel Lord
Coordination des archives
et libération des droits
Nancy Marcotte
Archives
AP Images/Ramon Espinosa
Bibliothèque et Archives Canada
CTV News Stox, une division de Bell Media Inc.
Latin American Studies
La Presse canadienne
Le Devoir
Gettyimages
Guy Lion
Reuters
The Globe & Mail
Toronto Star
Musique
Hymne à la beauté du monde
par Luc Plamondon et Christian St-Roch
Plamondon Publishing, Les Éditions Vibrations
Inuusivunga (Je vais vivre)
par Elisapie Isaac et Alain Auger
Avocats
Lussier & Khouzam
Rémy Khouzam
Sophie De Champlain (ONF)
Comptable de production
Martine Brunelle
Producteurs
Nathalie Barton (InformAction)
René Chénier (ONF)