Pour la refondation de la Fédération haïtienne de football souillée par des crimes
Philippe Duhamel
Je reçois chaque jour le National et j’avoue avoir sursauté en lisant ce titre dans son édition du vendredi 5 février : « Comité de normalisation, Michaëlle Jean évincée, Jacques Letang aux commandes.»
Or, voici les faits. Lorsque j’ai été approchée, il y a quelques mois, par les hautes autorités de la FIFA et qu’il m’a été demandé de considérer la présidence du Comité de normalisation en Haïti, ce qui m’a d’abord profondément troublée ce sont les circonstances et le scandale. J’ai été horrifiée par l’exploitation et les agressions sexuelles, les crimes d’une extrême gravité commis contre des jeunes qui rêvaient de ce sport, y voyaient un espace sûr d’épanouissement et un avenir. Des jeunes en très grande majorité fragilisés, issus de milieux défavorisés dans un pays de toutes les misères, où l’injustice et l’impunité sont légion, mais où l’indifférence, l’absence totale de recours face à l’insécurité sont tout aussi criminels.
J’ai voulu avant d’accepter un tel mandat discuter avec les autorités de la FIFA des conditions à réunir. La volonté de cette organisation d’agir de manière ferme et responsable m’a certainement saisie. L’enquête en profondeur, les sanctions pour mettre fin à un règne de 20 ans d’un président de la Fédération haïtienne de football (FHF) dont la conduite a été des plus abjectes et abominables. C’est aussi la première fois dans l’histoire même de la FIFA qu’elle met en place un comité de normalisation pour un mandat de plus de 6 mois, mais cette fois étalé sur deux ans, pour commencer.
L’urgence est réelle, le danger de représailles et de violences n’est pas non plus à écarter, pour les victimes ainsi que pour tous ceux et celles qui osent aujourd’hui courageusement témoigner, comme pour leurs proches, leurs familles, voire les membres du comité. Il fallait, à mon sens, mettre en œuvre beaucoup plus que le processus et l’organe de normalisation habituel, chargé principalement de la révision des statuts et règlements, de l’administration des opérations et affaires courantes, de la révision des structures de gouvernance en place, de l’examen de la crise et de ses conséquences.
J’ai donc introduit la recommandation d’un dispositif plus large de renfort et de sauvegarde, qui, de manière inclusive, implique pleinement la société haïtienne en l’engageant.
D’où l’idée, et c’est aussi une première pour la FIFA, d’instaurer aux côtés du Comité de normalisation, un Comité consultatif qui, par souci de vigilance, de transparence et de résultats durables, rassemblera des femmes, des hommes de principes et de droit, représentants d’associations et d’organisations de la société civile et d’institutions notamment académiques, ainsi que des personnalités haïtiennes de parfaite intégrité, des experts, des partenaires y compris internationaux.
Cet exercice crucial de réflexion que j’ai impulsé avec les plus hautes autorités de la FIFA, dont la Secrétaire générale Madame Fatma Samoura, les experts ressources mobilisés par elle, mais aussi en consultation avec des acteurs sur le terrain, dont Me Jacques Letang, a cependant été perturbé par la fuite dans les médias de ma soit disant nomination comme « présidente de la Fédération haïtienne de football »! Alors que je n’ai jamais signé en ce sens. Il me semblait d’une absolue évidence, que la présidence du comité de normalisation de la FIFA en Haïti ne pouvait être assumée que par une personnalité établie dans le pays et devant voir sur place à la gouvernance, l’administration quotidienne et la direction bien ordonnée des équipes et des personnels. Je salue la volonté de Me Jacques Letang d’agir en cette qualité, sachant combien la tâche qui lui incombera sera considérable. C’est une excellente nouvelle pour la FHF qui pourra compter sur les compétences de l’actuel président de la Fédération des barreaux d’Haïti (FBH), bâtonnier de l’Ordre des avocats du barreau des Coteaux et président du Conseil d’administration du Bureau des droits humains en Haïti (BDHH).
En ce qui me concerne, je ne suis ni « évincée » du Comité de normalisation, ni « reversée » ailleurs, comme j’ai pu lire dans le National. J’accepte pleinement et avec conviction d’assumer la présidence du Comité consultatif, pour le plus grand renforcement du Comité de normalisation, face à la crise d’une absolue gravité dont doivent se relever la Fédération haïtienne de football et Haïti. Il faut, pour que cette mission réussisse, une approche solidement et parfaitement coordonnée, avec l’appui, la mobilisation et la participation de la société haïtienne pour la pérennisation des programmes sociaux, de protection, de soutien et de formation notamment, qui seront déployés.
Des états généraux du football s’imposent, compte tenu de l’espace de cohésion sociale que ce sport national représente.
C’est d’un drame sociétal profond dont le pays doit se relever, de l’exploitation sexuelle accablante de jeunes, filles et garçons, organisée à large échelle, pratiquée pendant toutes ces années et en totale impunité. Cela mérite un examen collectif des plus minutieux et une stratégie exceptionnelle. D’autres pays qu’Haïti sont aussi éprouvés. Ce que la société haïtienne réalisera pourra devenir une référence, un modèle.
Il faut donc placer le sujet à la bonne hauteur et parler de la refondation de la Fédération haïtienne de football, pour que plus jamais une telle indignité.
Michaëlle Jean
Ex-Gouverneure générale et Commandante en chef du Canada (2005–2010)
Envoyée spéciale de l’UNESCO pour Haïti (2010–2014)
Ex-Secrétaire générale de la Francophonie (2014–2018)
Cofondatrice & coprésidente Fondation Michaëlle Jean Foundation
N.D.L.R.
Suite à l’article du 5 février paru dans les colonnes du Journal Le National « Comité de normalisation, Michaëlle Jean évincée, Jacques Letang aux commandes », la très honorable Michaëlle Jean a tenu à exercer son droit de réponse que le Journal publie ci-dessus dans son intégralité.
Source : Le National, République d’Haïti, édition du 8 février 2021.