Revoir Obama, aux confluences de l'Histoire
Barack Obama a été élu Président des États-Unis, en novembre 2008. Sa première visite officielle à l'étranger, il l'effectue au Canada, comme le veut la tradition. On est en février 2009. À l'époque, les photos de notre rencontre à l'aéroport d'Ottawa avaient fait le tour du monde. Depuis, on m'a souvent demandé d'où venait cet immense sourire sur nos visages.
D'abord nous sommes saisis par la même évidence : « Qui aurait cru qu'un jour, la Commandante-en-chef du Canada et le Commandant-en-chef des États-Unis seraient tous deux de descendance africaine ; qui plus est, en poste en même temps ? Savourons l'instant ! »
J'ai eu le sentiment que la portée symbolique du moment n'échapperait à personne. Oui, une page inédite de l'histoire des civilisations s'écrivait sous nos yeux. En marchant sur le tapis rouge vers le salon officiel, j'ai rappelé au Président combien les Canadiens et les Canadiennes l'aimaient et ont suivi sa campagne jusqu'à franchir la frontière pour travailler bénévolement à son élection.
Il m'a répondu avec humour : « Mais c'est magnifique. Comme ça, si mon mandat à la présidence des États-Unis tourne mal, je pourrai au moins venir au Canada où je sais que j'ai des amis ! »
Nous avons éclaté de rires avant de passer aux choses sérieuses. Notre entretien d'une demi-heure a porté sur des questions touchant nos deux pays et la situation internationale. C'est alors que le président Obama m'a demandé de lui parler de mon pays natal, Haïti.
Je revenais à peine d'une visite officielle là-bas pour constater les dégâts causés dans le nord du pays par un violent cyclone. Alors que je m'adressais à une foule, composée en majorité de jeunes gens, massés au pied de la statue du héros Toussaint Louverture à Port-au-Prince, une jeune fille s'est avancée et m'a crié: «Souviens-toi que c'est grâce à eux, au combat de nos héros que tu es aujourd'hui gouverneure générale du Canada. Et sans leur courage, sans leurs luttes et leur victoire, Barack Obama ne serait pas non plus président des États-Unis. Dis-le-lui ! Qu'il n'oublie pas que tout est parti d'ici, d'Haïti ! Nous sommes pauvres, mais nous sommes fiers !».
N'est-ce pas que cette jeune fille dit vrai ? ai-je demandé au Président Obama.
"It's so true. She's so right", « Très juste. Elle a tout à fait raison » a-t-il répété, hochant de la tête, visiblement ému.
Septembre 2016, New-York. Je participe à la 71e Assemblée générale des Nations unies où j'ai pris la parole. Je retrouve le Président Obama, sept ans plus tard, à la fin de son mandat. Je viens d'écouter attentivement sa dernière intervention aux Nations unies en tant que Président des États-Unis.
Dans nos discours respectifs, je suis frappée par les axes convergents : le même appel à un changement de cap qui saura éviter le naufrage et l'abîme à l'aventure humaine, notre humanité commune comme antidote aux murs et aux barbelés qui amputent et étranglent.
Dans nos retrouvailles maintenant, je revois le temps qui a passé, le travail accompli pendant toutes ces années, des progrès certains, mais aussi des défis himalayens qui subsistent.
Et encore, j'entends l'écho de cette jeune femme de Port-au-Prince, rappelant le courage et les sacrifices qui nous ont portés là où nous sommes. L'importance et l'urgence d'agir dans la même lignée.
Unir par-delà les clans et le chacun-pour-soi. Rappeler sans cesse notre destinée commune. Ennoblir les esprits. Mobiliser le meilleur de nous-mêmes. Transformer par l'espoir agissant. Oui, nous en sommes capables. Toujours.
Le temps file. L'Histoire n'a pas dit son dernier mot. Et les peuples du monde, comme autant de rivières, continuent de confluer.
— Michaëlle Jean
« Par-delà notre desarroi face aux déplacements forcés, face à ces cohortes de laissés pour compte, il est, oui de notre responsabilité commune de combattre sans relâche, face à tant de souffrances, l’indifférence, le chacun pour soi, le chacun chez soi, devenu illusoire et dérisoire dans ce monde sans frontières, et de renouer avec la fraternité, la solidarité, de renouer avec la tradition de l’accueil et la volonté de mieux se connaître, de mieux se comprendre.
Il est de notre responsabilité commune, aussi, de combattre, avec la dernière des énergies, les discours haineux, les préjugés xénophobes, les mouvements extrêmes, nourris de populisme et de nationalisme exacerbé, qui alimentent et instrumentalisent, à des fins purement électoralistes, la peur de l’autre, le rejet de l’étranger.
Il est de notre responsabilité commune, enfin, de penser à court terme mais aussi à plus long terme, une politique migratoire sous le signe de la concertation, de la coopération internationale, d’un échange gagnant-gagnant.
Et si au lieu d’élever des murs et d’installer des barbelés, nous investissions dans le développement humain et économique durable ? »
— Michaëlle Jean, Secrétaire générale de la Francophonie,
Discours à New York, le 19 septembre 2016,
lors de la Réunion plénière de haut niveau de l’Assemblée générale des Nations unies sur la gestion des déplacements massifs de réfugiés et de migrants.
Lire le discours complet.
« Pour aller de l’avant, toutefois, il faut bien reconnaître qu’un changement de cap s’impose à la dynamique actuelle d’intégration mondiale. Car trop souvent, ceux qui ont chanté les louanges de la mondialisation ont fait peu de cas de l’inégalité qui règne au sein des nations et entre les nations. Ils ont négligé l’attrait qu’exercent les identités ethniques et sectaires. Ils ont laissé les institutions internationales mal outillées, sous-financées, sans les ressources qui auraient permis de bien relever les défis transnationaux.
Et pendant qu’on laissait de côté ces graves problèmes, d’autres visions du monde gagnaient du terrain, tant dans les pays les plus riches que dans les pays les plus pauvres : fondamentalisme religieux, politiques tribales, ethniques ou sectaires, nationalisme hargneux, un populisme grossier venu parfois de l’extrême gauche, mais le plus souvent de l’extrême droite, qui cherche à revenir à un temps jugé meilleur et plus simple, dénué de contamination étrangère.
Nous ne pouvons pas ignorer ces points de vue. Ils sont puissants. Ils reflètent le mécontentement qu’éprouvent trop de nos citoyens. Je ne crois pas que de telles idées puissent offrir la sécurité et la prospérité à long terme. Je crois plutôt qu’elles refusent de reconnaître, au plan le plus fondamental, notre humanité commune. Je crois en outre que le rythme accéléré des voyages, de la technologie et des télécommunications, sans oublier celui de l’économie mondiale qui repose sur des chaines d’approvisionnement mondiales, conduira tout droit à l’échec ceux qui tenteront de renverser cette évolution.
Aujourd’hui, une nation entourée de murs ne ferait que s’emprisonner elle-même. »
— Barack H. Obama, président des États-Unis d'Amérique,
discours devant la 71e session de l'Assemblée générale des Nations unies,
le 20 septembre 2016, New York.
Lire le discours complet (en anglais).